Sunday, 23 November 2014

LA VIE DE LA SAINTE VIERGE MARIE ( Agreda )

VIE DIVINE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE MARIE

CHAPITRE PREMIER.

LA TRÈS SAINTE VIERGE DANS L’ENTENDEMENT DIVIN SES SAINTS PARENTS.

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CHAPITRE PREMIER.
LA TRÈS SAINTE VIERGE DANS L’ENTENDEMENT DIVIN SES SAINTS PARENTS.






Avant de commencer à écrire la vie admirable de la divine Mère de Dieu, il est nécessaire de faire connaître le rang sublime qu’elle eut de toute éternité dans l’entendement divin. Quoique l’intelligence divine une, indivisible et très simple, conçoive dans un acte infiniment simple, n’y ayant pour elle ni temps passé, ni futur; néanmoins selon notre manière de comprendre nous distinguons comme différents moments. I. Dieu dans les profondeurs de l’éternité connaît ses attributs, ses perfections avec une inclination infinie à se communiquer au dehors, comme souverain bien infini. II. Il décrète de faire cette communication de lui-même au dehors par la participation et la manifestation de ses grandeurs. III. Il détermine l’ordre, la manière et la disposition de cette communication, décrétant que le Verbe divin se rendrait visible dans la sainte humanité. IV. Il décréta les dons et les grâces qu’il devait donner à l’humanité divinisée du Christ, chef de toutes les créatures. Alors réglant l’économie parfaite de l’Incarnation, il y comprit la Vierge Mère avant tout autre décret concernant la création des autres créatures. Dieu encore détermina de créer un lieu où le Verbe incarné put habiter avec sa divine Mère; et premièrement pour eux seuls il décréta de créer le ciel et la terre, avec les astres, les éléments et tout ce qu’ils contiennent, et secondairement



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pour les hommes qui devaient être les vassaux de ce grand roi et de cette grande reine. V. Il décréta la création de la nature angélique pour être en présence de la Majesté divine pour l’honorer et l’aimer: elle devait servir aussi le Verbe Éternel fait homme et sa très sainte mère leur reine. A ce moment appartient la création du ciel empyrée, pour que la gloire de Dieu s’y dévoile et que les bons y soient récompensés, ainsi que la prédestination des bons anges et la réprobation des mauvais; la création de la terre pour les autres créatures et de l’enfer dans son centre pour le châtiment des esprits rebelles. VI. Il décréta de créer un peuple et une société d’hommes semblables au Christ et ses frères. Dieu ordonna les faveurs et les grâces qu’il devait donner à ce peuple par les mérites du Christ, et la justice originelle de l’homme s’il y voulait persévérer. Il prévit la prévarication et la chute d’Adam, et en lui celle de tous ses descendants, à l’exception de la divine mère, qui ne fut pas comprise dans ce décret postérieur. Il décréta que ce malheur serait réparé et que l’humanité du Christ serait passible.

Pour l’exécution de ces décrets dans le temps, Dieu créa le ciel et la terre, et la lumière non seulement matérielle, mais aussi intellectuelle, c’est-à-dire les anges et à la division de la lumière des ténèbres arriva la séparation des bons et des mauvais esprits. Les anges demeurèrent quelque temps dans l’état d’épreuve qu’on peut diviser en trois instants: au premier ils furent créés et ornés des dons de la nature et de la grâce; au second, la volonté de leur créateur leur fut proposée, pour la suivre, et obtenir la fin pour laquelle ils avaient été créés. Il leur donna de très vives lumières sur le bien et le mal, les récompenses et les châtiments éternels. Les uns furent obéissants les autres rebelles; les bons furent confirmés en grâce et récompensés de la gloire éternelle;



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les obstinés furent châtiés et précipités dans l’enfer pour y être éternellement tourmentés. Le motif de cette rébellion et de cette disgrâce fut que les anges ayant eu une très claire connaissance de l’être divin avec l’unité d’essence et la trinité des personnes, ils reçurent commandement d’adorer Dieu comme leur créateur. Ils obéirent tous à ce précepte, mais avec quelque distinction. Lucifer se soumit parce qu’il crut impossible de faire le contraire; mais il ne le fit pas avec une parfaite charité, et bien que cette lâcheté à opérer ces premiers actes ne le privât point de la grâce, sa mauvaise disposition vint de là, car ses vertus et son esprit en furent affaiblis. Dieu leur manifesta qu’il devait créer une nature humaine, et que la seconde personne de la très sainte Trinité devait s’incarner et élever la nature humaine à l’union hypostatique; ils reçurent le commandement d’adorer cet homme-Dieu et de le reconnaître pour chef de toutes les créatures. Lucifer résista à cet ordre et provoqua ses adhérents à faire de même, il leur persuada qu’il serait leur chef et qu’il constituerait un royaume indépendant du Christ. Mais sa méchanceté s’accrut lorsqu’il lui fut proposé de reconnaître comme reine et souveraine, une vierge, mère du Christ, qui devait être enrichie des dons de grâce et de gloire, de manière à surpasser toutes les autres créatures angéliques et humaines. Il résista par d’horribles blasphèmes et condamna ces décrets divins comme injustes et injurieux à sa grandeur. Cette superbe présomption irrita si fort le Seigneur, qu’il annonça au serpent dans le paradis terrestre qu’Elle (Marie) lui écraserait la tête, ipsa conteret caput tuum.

Après avoir précipité du ciel les anges rebelles et Lucifer leur chef, Dieu créa les autres créatures sur le modèle du Christ et de la vierge mère comme leurs divins exemplaires ; mais surtout il forma Adam et Eve en tout semblables à ces



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divins originaux. Il leur donna le mouvement et une entière-perfection, enfin il les bénit en considération de leur parfaite ressemblance avec leurs modèles. Le Seigneur cacha à Lucifer la création d’Adam et d’Eve pendant une partie du temps qu’ils vécurent ensemble. Dieu agit ainsi pour jeter le démon dans le doute, si Eve était celle qui devait lui écraser la tête, et Adam le Verbe incarné. La rage de cet implacable ennemi commença à dresser des embûches ; ayant réussi à perdre la femme et par son moyen l’homme, il en triompha orgueilleusement avec ses démons. Mais sa satisfaction ne fut pas de longue durée, parce qu’il vit combien Dieu s’était montré miséricordieux à l’égard des criminels et qu’il leur rendrait sa grâce et son amitié par le moyen de la pénitence; et ce lui fut un nouveau tourment d’ouïr la menace qu’une femme lui écraserait la tête.

Le genre humain se multiplia par la bénédiction divine, et le Seigneur se choisit un peuple élu, et dans ce peuple une lignée illustre et sainte, de laquelle il devait descendre selon la chair. Il fit des faveurs signalées à ce peuple, et lui révéla des mystères profonds: il suscita de saints patriarches et prophètes, qui devaient lui montrer en figure le Verbe incarné et lui annoncer de loin sa venue si désirée. Enfin le temps marqué approchant , Dieu envoya au monde deux flambeaux très éclatants, qui annonçaient la prochaine aurore du soleil de justice Jésus, notre Sauveur. Ces deux flambeaux furent saint Joachim et sainte Anne, que la volonté divine avait préparés et créés afin qu’ils fussent les parents de la vierge mère de Dieu. Joachim avait sa maison avec ses parents et amis à Nazareth, petite ville de Galilée. C’était un homme juste et saint, éclairé d’une lumière spéciale qui lui faisait connaître les mystères des saintes écritures et le sens des prophéties. Sainte Anne avait sa maison à Bethléem; elle était



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chaste, humble et belle; elle avait aussi de grandes illustrations sur les sens profonds des divines prophéties. L’archange Gabriel fut envoyé en forme corporelle à sainte Anne, pour lui ordonner de prendre Joachim pour époux. Il alla peu après vers Joachim et l’avertit en songe de prendre sainte Anne pour épouse. Le saint mariage s’accomplit sans que l’un découvrit à l’autre son secret. Les deux saints époux habitèrent à Nazareth, et suivirent les voies du Seigneur, donnant la plénitude des vertus à toutes leurs oeuvres. Ils faisaient tous les ans trois portions de leur revenu; ils offraient la première au temple , ils distribuaient la seconde aux pauvres , et destinaient l’autre pour l’honnête entretien de la famille. Les saints époux passèrent vingt ans sans avoir aucun enfant, ce qui était réputé comme une honte; c’est pourquoi ils essuyèrent de leurs voisins plusieurs opprobres, parce qu’on croyait que ceux qui n’avaient pas d’enfants n’auraient aucune part au futur Messie. Ils étaient même injuriés par les prêtres comme des êtres inutiles et Joachim étant allé au temple pour prier, un prêtre appelé Issachar, le renvoya parce qu’il offrait étant stérile, et dès lors indigne d’offrir des sacrifices. Le saint homme se retira tout affligé; il s’en alla à une maison de campagne, priant le Seigneur avec larmes de lui donner un enfant, et il fit voeu de le lui consacrer dans son temple. L’ange du Seigneur apparut à sainte Anne, et lui déclara, qu’il serait agréable à la divine Majesté qu’elle demandât une postérité. La sainte fit ce qui lui était dit et promit à Dieu de lui consacrer le fruit qu’il daignerait lui accorder. Les demandes de saint Joachim et de sainte Anne arrivèrent en présence du trône de la divine Majesté. L’archange Gabriel fut envoyé à saint Joachim: le Très-Haut, lui dit-il, a exaucé tes prières, et Anne ton épouse concevra et enfantera une fille qui sera bénie entre



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toutes les femmes, et que les nations reconnaîtront pour bienheureuse; le Seigneur veut que dès son enfance, elle lui soit consacrée dans le temple. En même temps sainte Anne était élevée dans une contemplation très-sublime, et toute absorbée dans le mystère de l’incarnation, elle priait avec ferveur le Seigneur de la rendre digne de voir et de servir cette femme si heureuse et si favorisée qui devait être la mère du Messie attendu. Ce fut alors que le saint archange Gabriel se présenta à elle, lui annonçant que Dieu la choisissait pour être la mère de la très sainte mère de son divin fils. Toute remplie d’une surprise et d’une joie inexprimable, elle alla au temple remercier le Seigneur et lui rendre de dignes actions de grâces. Elle rencontra saint Joachim et lui manifesta les promesses de l’archange, sur quoi ils allèrent tous deux au temple renouveler leurs voeux et rendre de vives actions de grâces à l’auteur de ces merveilles. Ils s’en retournèrent à la maison, s’entretenant entr’eux des faveurs signalées qu’ils avaient reçues du Très-Haut, et ils se communiquèrent à cette occasion la première Visite de l’ange ainsi que l’ordre qu’ils avaient reçu de se marier ensemble et dont ils n’avaient jamais parlé. La prudente sainte Anne ne découvrit point à son époux que l’enfant promise dût être la mère du Messie, car l’archange le lui avait défendu.

La plénitude des temps étant arrivée, les trois personnes divines, suivant notre faible manière de concevoir, dirent entre-elles: « Il est temps que nous commencions l’ouvrage de notre bon plaisir, et que nous créions cette pure créature qui nous est chère sur toutes les autres : il faut qu’elle soit exempte de la loi ordinaire de la génération de tous les mortels, afin que la semence du serpent infernal n’ait aucune part en elle. Il est juste que la divinité choisisse pour s’en revêtir une matière très-pure et qui n’ait jamais été souillée parle péché;



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notre équité et notre providence demandent ce qui est le plus décent, le plus parfait, et le plus saint; et cela s’exécutera parce qu’il n’est rien qui puisse résister à notre volonté. Le verbe qui doit se faire homme et servir de maître aux hommes, leur enseignera avec plus d’efficacité à honorer leurs parents, en donnant le premier l’exemple, d’honorer celle qu’il a choisie pour sa mère; entre les honneurs qu’il lui rendra, le premier sera la grâce de ne jamais être assujettie à ses ennemis. Puisqu’il doit être le rédempteur du genre humain, il est convenable qu’il exerce d’abord cet office à l’égard de sa propre mère: elle doit avoir une rédemption particulière et pour cela être préservée par avance du péché; ainsi elle sera toute pure et immaculée, et le fils de Dieu se réjouira en voyant entre sa mère terrestre et son père céleste la ressemblance la plus parfaite qui soit possible entre Dieu et la créature. » Tel fut le décret que les personnes divines manifestèrent aux anges bienheureux. Avec une profonde humilité prosternés devant le trône divin, ils louèrent Dieu et lui rendirent de très-vives actions de grâces, d’avoir enfin exaucé la prière qu’ils faisaient depuis la grande bataille avec Lucifer pour l’accomplissement du mystère de l’incarnation qui leur avait été révélé. Chacun d’eux désirait avec une sainte émulation d’être employé pour former la cour du fils de Dieu et de sa très-pure et sainte mère.

Vingt ans s’étaient déjà écoulés depuis le mariage de saint Joachim avec sainte Anne: Joachim avait donc soixante ans et sainte Anne en avait quarante-quatre. Suivant la promesse divine, ils engendrèrent cet enfant qui devait être la mère de Dieu d’une manière vraiment merveilleuse. Tout s’y passa selon l’ordre commun des autres conceptions, néanmoins la vertu du Très-Haut ôta à celle-ci ce qu’il y avait d’imparfait et de désordonné, ne lui laissant que le pur nécessaire,





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selon les lois de la nature, afin que le corps le plus excellent qui fut et qui sera jamais entre les pures créatures fut formé sans la moindre imperfection. La vertu divine se découvre surtout dans l’opération miraculeuse qui enleva à sainte Anne sa stérilité naturelle. Mais cette opération fut surtout merveilleuse en ce que la grâce éloigna entièrement des saints Parents toute sorte de sensualité et que l’aiguillon du péché originel n’y eut aucun part: ainsi donc, ce qui servit à cette très pure conception n’étant accompagné d’aucune imperfection, le péché ne s’y trouva point et n’y eut aucun pouvoir. La sagesse et le pouvoir du Très-Haut prirent un soin tout particulier de la formation du corps très-pur de Marie, il fut composé selon le poids et la plus parfaite mesure, tant en la quantité qu’en la qualité des humeurs naturelles afin que par la juste proportion de ce mélange incomparable, il aidât sans empêchement les opérations d’une âme aussi sainte que celle qui devait l’animer. Ce petit corps reçut un tempérament si accompli et des facultés si riches que la nature n’aurait jamais formé, à elle seule, rien de semblable. Suivant notre manière de concevoir, Dieu mit plus de soin à le composer et à le former qu’il n’en mit à former tous les cieux et tout ce que renferme l’univers.

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