Appropinquavit enim. Nous allons entendre le motif pour lequel Saint Jean-Baptiste exhorte à la pénitence d'une manière si pressante : Le royaume des cieux est proche.
[ « Appropinquavit » au prétérit ; par conséquent « prope jam est, adest ». ]
Mais que faut-il entendre par le regnum cœlorum qui nous apparaît ici pour la première fois ?
Distinguons le nom et l'idée.
1° Parmi les écrivains du Nouveau Testament, Saint Matthieu emploie seul cette locution qu'il répète environ trente fois et qui désigne, selon la lettre, un royaume venu du ciel, établi par le ciel, tendant qu ciel.
Cependant les autres évangélistes et Saint Paul parlent fréquemment aussi d'un royaume semblable et en des termes à peu près identiques :
« Regnum cœleste, regnum Dei, regnum filii hominum », ou simplment « regnum ». Toutes ces expressions évidemment synonymes ; elles ne diffèrent guère que par le sujet auquel elles attribuent le royaume en question ; c'est tantôt le Père, tantôt le Fils, selon le point de vue auquel on se place. Il ne faudrait pas croire qu'elles fussent alors complétement nouvelles et qu'on ne les rencontre que dans les pages du Nouveau Testament.
Les Rabbins les emploient très souvent : le livre de la Sagesse, X, 10, connaît de même la
Βασιλεία του Θεου. En remontant plus haut jusqu'à Daniel, jusqu'à David, nous trouvons ce royaume annoncé déjà d'une manière générale ; Cf. Dan., VII 13, 14, 27, etc. ; Ps. II, CIX.
Le « regnum cœlorum » est donc une de ces notions qui, visibles à l'état de germe dans les livres protocanoniques de l'Ancienne Alliance, se développent en passant par les écrits deutérocanoniques et sous la plume des vieux Rabbins, pour se montrer en parfaite maturité et en pleine lumière dans le Nouveau Testament.
2° L'idée représentée par ce nom était très-claire pour les Juifs contemporains de Notre-Seigneur Jésus-Christ : tout le monde savait fort bien qu'il désignait le royaume messianique, ce royaume éminemment céleste dans son origine, dans ses moyens, dans sa fin, dans son auguste Souverain.
Mais la connaissance exacte de Dieu et de ses relations avec le monde nous fournit là-dessus des lumières plus complètes encore, capables d'éclaircir maint passage dogmatique des Saints Évangiles.
Dès que le Seigneur sortit de lui-même comme Créateur, qu'Il eût formé des êtres libres, il exista un royaume dont il devint l'unique Maître.
Ce « regnum Dei » demeura pur et parfait tant que le péché ne se fut pas introduit sur la terre ; car, jusqu'à cette heure funeste, la plus étroite union ne cessa d'exister entre le gouvernant et les gouvernés.
Mais,après la désobéissance d'Adam, le mal pénétra dans le royaume de Dieu, qui se serait immédiatement transformé en un royaume de Satan, si le Créateur n'eût agi dès lors pour nous sauver.
À ce moment, du vivant même de notre premier père, commence le royaume du Messie.
À la place du « regnum Dei simpliciter » s'ouvre donc le « regnum Filii Dei » qui eut trois phases distinctes dans le cours des temps.
1. Il fut d'abord tout intérieur, existant dans l'âme des justes, des enfants de Dieu, comme les appelle la Bible.
2. Plus tard, il se manifesta au dehors, quand Jéhova ( sic, Bible Fillion ) fit une alliance spéciale avec Israël, et qu'il le choisit pour son peuple de prédilection.
3. Mais la théocratie juive n'était qu'une figure, qu'une préparation à la forme parfaite du royaume messianique. C'est l'Église chrétienne qui est aujourd'hui, qui sera jusqu'à la fin du monde le véritable royaume du Messie.
Cependant, durant ces trois périodes, le royaume du mal, ή βασιλεια της αμαρτιας ou bien του πονηρου, subsiste à côté de celui du Christ auquel il fait une guerre acharnée, et cette lutte durera jusqu'au jugement final.
Mais alors, quand le règne de Satan aura été anéanti avec la mort et le péché, quand notre corps, ainsi que notre âme, aura participé à la Rédemption, quand toute la nature aura été régénérée, le Messie victorieux remettra son autorité entre les mains de son Père, et l'antique βασιλεια του Θεου reparaîtra, comme aux premiers jours du monde.
En réunissant ces différentes notions, on peut avoir une idée suffisamment exacte du « regnum cœlorum » tel qu'il est dépeint dans les écrits du Nouveau Testament, et l'on comprend pourquoi il ne nous y est pas toujours présenté sous le même aspect, mais tantôt comme présent, tantôt comme futur, tantôt comme intérieur, tantôt comme extérieur.
Voir Olshausen et Bisping in h. j.
— Le royaume des cieux ou du Messie était alors impatiemment attendu par les Juifs : aussi furent-ils vivement émus quand le Précurseur leur en annonça l'établissement prochain, et qu'il leur dit de s'y préparer par une conversion sincère, s'ils voulaient avoir part à ses suites heureuses.
Mais quelle idée grossière et charnelle ils s'en faisaient !
Vraiment, ce n'était plus un royaume céleste, tant ils l'avaient défiguré en rattachant au trône messianique des espérances étranges, nées de l'orgueil, de l'égoïsme et des autres passions humaines !
Le Messie-Roi devait d'abord faire son apparition au milieu de prodiges signalés : son premier acte serait de ressusciter tous les descendants d'Abraham, le second de marcher avec eux contre les païens qu'il soumettrait par la forc des armes à la domination israëlite.
Alors commencerait un règne de mille ans, règne de prospérité, de gloire et de plaisirs.
Voilà ce qu'enseignaient ouvertement les Rabbins, ce que les Apôtres croyaient comme les autres, ainsi que nous le verrons par plusieurs passages des Évangiles.
Jésus luttera constamment, ouvertement, contre ces idées fausses de ses contemporains ; mais il réussira bien rarement à les convaincre, et tout le secret de son insuccès auprès de la plupart des Juifs consiste précisément dans son refus perpétuel de se prêter au rôle tout humain qu'ils attribuaient au Messie.
[ Source :Bible Fillion, Explication Saint Matthieu III 2 ].
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